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Le Samsara 2

« Comme l’état de non-conscience ne saurait être la source de la conscience

L’idée que le cycle de l’existence n’a pas de commencement est réaliste. » Darmakirti

Work continues on the construction of the Kalachakra Sand Mandala in the morning before the final session of His Holiness the Dalai Lama's 33rd Kalachakra Empowerment Preliminary Teachings in Leh, Ladakh, J&K, India on July 8, 2014. Photo/Manuel Bauer www.dalailama.com

Mourir est une évidence, c’est le début du processus qui mène à la suivante. Nous devons donc réfléchir à ce qu’il se passe après la mort. Cela n’aurait aucun sens de finir desséché comme un arbre ou une fleur flétrie. Une réflexion profonde sur ce qu’il advient après la mort nous oblige à agir avec précaution dans le sens où cela produira un impact favorable pour notre prochaine vie.

 

La contemplation méditative doit porter sur l’idée d’une mort obligée comme sur la vie qui suit. Quand vous vous en serez là, vous serez plus attentif aux modalités les plus profondes de la vie. Vous vous concentrerez sur le fonctionnement du karma – la manière dont vos actes ont des effets déterminés. En acceptant l’idée d’une renaissance, vous allez déterminer ce qui est essentiel, et au fond de vous-même, vous commencerez à vous préparer pour ce moment-là.

 

Que ce passe-t-il après la mort ?

 

En réfléchissant à ce qui se passe après la mort, nous nous heurtons à de nombreuses difficultés. Pendant des millénaires, les humains se sont interrogés sur l’existence ou non d’une vie future. Certains ont cru que la conscience est reliée au corps physique. La disparition corporelle amenant l’arrêt du continuum de la conscience. D’autres abondent dans l’idée que le mental ou l’âme se sépare et se retrouve au paradis ou en enfer. En Inde, des adeptes de croyances non bouddhistes maintiennent que le soi est indépendant de l’entité corps-esprit, dont il se débarrasse pour prendre un nouveau corps dans le processus de la renaissance.

 

Le bouddhisme affirme que le soi renaît toujours et qu’il est fondé sur la relation avec l’entité corps-esprit pour une vie donnée. Le soi, la personne, le moi repose sur un continuum individuel de la conscience. Un homme déterminé est pourvu ou assigné à une entité corps-esprit dont la base est un continuum de conscience humaine.

 

Cette conscience jaillit-elle des neurones de nos cerveaux ou d’autre chose ? Si l’on prouvait avec certitude que la conscience émane du cerveau, l’idée de vies antérieures et futures deviendrait difficile à soutenir. Or, des personnes ont prouvé qu’elles se remémoraient leurs vies antérieures, il faut en tenir compte d’une manière ou d’une autre. Les scientifiques ont là un champ de recherches si vaste qu’en s’y lançant immédiatement, ils pourront probablement poursuivre leurs investigations jusqu’au XXII siècle !

 

En s’appuyant sur notre sagacité, nous pouvons toutefois parfaitement saisir que les multiples formes de conscience sont en relation avec un organe physiologique tel que le cerveau. Il est notoire, par exemple, que la conscience sensorielle existe grâce aux yeux, oreilles, nez, langue et corps. Les textes bouddhistes disent que les organes rattachés aux sens, en capturant les couleurs et les formes, les sons, les odeurs, les goûts et les consistances comme l’onctuosité, définissent l’état de la conscience sensorielle.

 

Les éléments matériels comme le corps dépendent de causes et conditions. La conscience résulte aussi de causes et conditions particulières. Il doit donc y avoir un continuum de causes pour une entité précise. Le corps est lié au matériel génétique des parents, sperme et ovule, qui provient, lui aussi, de leurs parents, et ainsi de suite, jusqu’aux simples organismes originels dont les plus anciens sont apparus il y a un milliard d’années. Les traces du continuum causal du corps se retrouvent jusque dans les particules élémentaires à l’origine de la formation du système terrestre. Antérieurs à ces découvertes scientifiques, les écrits bouddhiques mentionnent une substance subtile. Les particules de l’espace sont évoquées dans le Kalacakratantra et les commentaires associés. Le corps résulte de ce continuum du flux des particules élémentaires de la matière.

 

La nature lucide et cognitive de la conscience doit donc avoir son propre flux de causes originelles pour exister. L’insubstantialité mentale ne peut pas se transformer en conscience, même à l’aide d’éléments comme les organes sensoriels – les yeux, par exemple – d’un coté, et des objets concrets à regarder – ce grand bâtiment grisâtre – de l’autre.

 

Les scientifiques ont récemment démontré l’influence de la pensée sur les évolutions physiologiques du cerveau. Cultiver la compassion, par exemple, métamorphose le mental et rejaillit sur son fonctionnement. La conscience n’a pas une nature unique, elle est immense et multiple. Les formes de conscience sont nombreuses, et leurs niveaux vont du plus grossier au plus subtil. Et certaines formes sont corrélées au cerveau et d’autres pas.

 

Les enfants nés d’un même lit ont parfois des mentalités fort différentes bien qu’ils aient partagé une seule et même éducation. Les différences corporelles montrent que chaque enfant a hérité d’un génome distinct des parents. Mais cette explication est insuffisante pour expliquer de telles variations entre membre d’une fratrie. Les facteurs physiques influencent sûrement la clairvoyance, la largeur d’esprit et l’intelligence, mais ils ne sauraient tout expliquer.

 

Les automatismes habituels des vies précédentes pourraient aussi avoir une influence. En effet, certaines attitudes marquent l’esprit. La conscience, dans ce cas, dès le début dans le ventre maternel, est déjà affectée par des forces conditionnantes. Nous devons donc considérer ces premiers instants comme découlant du flux mental de la vie précédente. Le célèbre logicien et philosophe indien Dharmakirti dit :

 

« Comme l’état de non-conscience ne saurait être la source de la conscience

L’idée que le cycle de l’existence n’a pas de commencement est réaliste. »

 

Pour moi, les personnes qui se souviennent avec précision de leurs vies antérieures apportent des preuves très tangibles. Ils confirment spontanément l’existence de vies passées grâce à leur mémoire directe, d’autres preuves sont inutiles. Parmi nous, des Tibétains se rappellent avec force détails de leurs vies passées. J’ai pris connaissance récemment de l’histoire de deux jeunes Indiennes qui se souvenaient de leurs existences précédentes. Et aussi de ce petit garçon de trois ans qui racontait avec beaucoup de conviction l’accident automobile où il avait succombé. Des nombreux cas ont été étudiés par le défunt professeur Ian Stevenson de l’université de Virginie. Il a découvert un nombre significatif de personnes dont le vécu antérieur était vraisemblable. Et il a rassemblé leurs témoignages dans plusieurs livres. Peut-être avez-vous rencontré des enfants qui rapportent de tels propos. Ils sont en général rejetés ou ignorés par ceux qui ne croient pas au concept des vies antérieures. Je pense que nous devons nous intéresser aux histoires que les jeunes enfants nous racontent.

 

L’existence de vies antérieures n’est pas à déterminer en fonction d’une majorité de personnes qui s’en souviendraient ou pas. Il me semble, plutôt, que les souvenirs fiables d’une seule personne peuvent démontrer que nous avons tous eu des existences passées, que nous en ayons le souvenir ou non. Peu de gens, parmi le cercle très étendu de mes relations, de vrais pratiquants, avaient un souvenir précis de leurs vies passées. La pratique de la méditation les a beaucoup aidés.

 

La conscience étant un flux continuel, la mort revient à changer de peau quand le corps dans lequel nous sommes n’est plus en capacité de survivre. Mais le flux de conscience a-t-il une origine, un début ? Dans l’affirmative, la conscience primordiale devrait avoir engendrée à partir d’une insubstantialité mentale. Idée absurde, voilà pourquoi le bouddhisme parle d’une absence d’origine dans le cercle des renaissances.

 

Les origines du monde

 

Comment les galaxies se sont-elles formées ? Elles apparaissent avec le Big Bang. Mais comment le Big Bang s’est-il produit ? Nous devons garder à l’esprit que les causes impermanentes sont conditionnées par leurs propres causes. Le mieux est donc d’établir le postulat selon lequel une cause primordiale existe. Mais un problème se pose alors, puisque ce qui est permanent n’a pas la capacité d’engendrer des effets impermanents, car cela signifierait que le changement puisse résulter de quelque chose de permanent, et c’est impossible. Prenons l’exemple, d’un dieu créateur. Il faut se demander s’il est éternel ou non. Et nous sommes à un dilemme, car s’il est impermanent il faut en rechercher les causes. S’il a été créé par un autre dieu créateur, celui-ci aura aussi été créé par un autre, et ainsi de suite. À l’inverse, poser le principe d’un créateur divin omniscient, compassionnel et tout-puissant est problématique, face à un monde en proie aux tourments.

 

Ne voyez pas dans mes propos une critique d’autres religions. J’essaie simplement de vous éclairer sur le mode de réflexion bouddhiste. Le bouddhisme s’est affranchi de l’idée d’un créateur omnipotent en définissant une théorie différente. Comme le maître d’œuvre bâtit une maison, selon l’enseignement bouddhiste, le monde entier s’est formé sous les influences karmiques des êtres vivants qui le peuplent. Les actes commis dans les vies antérieures sont appelés karma (empreintes karmiques). Ils interagissent avec les particules de matière qui se forme indépendamment du karma. Les karmas des êtres, qui vivent dans un environnement donné, créent les conditions qui vont peu à peu affecter son aspect. Le monde dans le quel nous vivons s’est formé après que nous y avons pris vie. Les empreintes karmiques, qui façonnent notre monde, proviennent d’autres vies antérieures sur des temps illimités.

 

Je pense que ce point de vue ne répond peut-être pas complètement à notre questionnement, mais il en nourrit l’esprit.

 

Comment le karma façonne nos vies

 

Le karma des êtres, qui vivent dans le monde, forge son aspect. En conséquence, certains de nos actes dans des existences passées ou présentes prédéterminent notre prochaine renaissance. Nous naissons avec la volonté d’éviter les souffrances corporelles et mentales. Malgré cela, ne sommes-nous pas plongés dans la souffrance ? Car nous jaugeons mal les origines de la douleur. Malgré le refus de souffrir, nous prêtons peu d’attention à la souffrance et nous n’en connaissons pas les causes. Parfois, nous cultivons les causes qui produisent la souffrance : pour des profits immédiats, des gens en escroquent d’autres, abattent des animaux pour un bon repas, ou versent dans le meurtre. Observez le nombre incalculable de vols, comportements sexuels déréglés, mensonges, médisances, calomnies et ragots. Ces comportements illustrent le fait que, malgré le refus de la souffrance, en ne prêtant pas attention à ses causes nous commettons avec empressement des actes qui nous entraînent à un point où elle devient irréversible.

 

Pour bien concevoir que ces actes sont négatifs et motiver une intention profonde de les refréner, une réflexion sur la relation entre l’acte et sa conséquence – son fruit – doit être menée. Comprendre que le résultat de certains actes est dangereux permet de s’en détourner. Dans les écrits bouddhistes, la souffrance est montrée comme la résultante de renaissances défavorables, pour encourager la réflexion sur ce qui les provoque.

 

La variété de renaissances

 

Réfléchissez à la souffrance des êtres vivants  dans des situations extrêmes, comme les animaux, et imaginez-vous à leur place, pour entrevoir immédiatement comment la vie est difficile et la renaissance à venir pourrait être atroce.  Cette puissante prise de conscience va vous motiver à mieux contrôler vos automatisme, ces actes dus aux rémanences karmiques, qui ont présidé à cette renaissance. (Vous ne choisirez pas l’endroit où vous allez renaître, mais la renaissance est sous l’emprise du karma.) Les écrits bouddhistes proposent trois catégories de destinées défavorables :

 

- Les naissances animales, où la souffrance résulte des rapports de force entre le fort et le faible, de capacités limités à pouvoir communiquer ou penser, d’être sous le joug des hommes.

 

- Le domaine des esprits avides qui souffrent de ne pas pouvoir étancher leur soif et rassasier leur estomac à cause de leurs difformités physiques et du monde de privation extrêmes qui les entourent.

 

- Les enfers où les êtres souffrent intensément de la chaleur et du froid.

 

La condition animale ne nous est pas inconnue. Car, en effet, les humains ressentent des souffrances comparables à celles que subissent les animaux, les esprits avides et les êtres des enfers.

 

Pour éviter de telles renaissances et s’en ouvrir de plus en plus favorables, il faut s’engager dans la pratique morale afin de ne pas succomber aux dix actes non vertueux mentionnés ci-dessous :

 

- trois actes non vertueux majeurs concernent le corps : tuer, voler, avoir un comportement sexuel déréglé;

 

- quatre actes non vertueux majeurs concernent la parole : mentir, calomnier, proférer des paroles grossières et se complaire dans les bavardages inutiles;

 

- trois actes non vertueux majeurs concernent l’esprit : la convoitise, la malveillance et entretenir des idées fausses.

 

Pour ne pas commettre d’actes non vertueux, il est essentiel de connaître la différence entre les actes bénéfiques et les actes nuisibles qui ont des effets négatifs. Néanmoins, le lien subtil qui existe entre les actes vertueux accomplis dans une vie et leur arrivée à maturation dans une vie future est difficile à saisir. Grâce à l’analyse, certains phénomènes cachés sont intelligibles, mais ce mode de réflexion est insuffisant pour percer des sujets très sibyllins. Seuls les bouddhas parfaitement omniscient connaissent les effets des phénomènes profondément cachés. Même, les bodhisattvas du plus haut niveau de réalisation ne comprennent pas ces relations très subtiles. Il faut toujours se fier aux écritures sacrées pour vérifier qu’il n’existe aucune incohérence, qu’elle soit explicite ou implicite, sur un sujet précis abordé dans les textes sacrés de Bouddha, comme il ne doit pas y avoir de contradiction entre le résultat de l’analyse logique et de l’observation directe. Ce triple examen est la solution qui nous permet de vérifier si un texte sacré doit être pris à la lettre ou s’il requiert une interprétation.

 

Sa Sainteté le Dalai-Lama

* Niveau Initial

* Hinayana

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